mardi 2 juin 2015

Chroniques de Restauration : AUBUSSON # 2

     Pour la deuxième partie de cette "Chronique de Restauration", nous allons nous intéresser à une phase délicate mais essentielle :

LA CONSERVATION PREVENTIVE.

     Le but principal de la conservation préventive est de stopper les dégradations par différentes opérations dont les principales sont :
- Soutien des déchirures,  il est réalisé au fil à partir des parties saines en construisant un cadre autour de la déchirure pour soutenir les fibres restantes, on utilise souvent un point appelé demi-duite*.
- Pose de pièces sur l'envers des trous. Au point de bâti* dans un premier temps pour empêcher le trou de s'agrandir au fur et à mesure du travail. Il faut aussi créer des passes de fil en diagonale pour éviter les déformations.
- Soutien du pourtour pour éviter les déformations du périmètre ou en rétablir la régularité.
- Elimination des parties trop abimées. Particulièrement celles qui sont pourries et peuvent devenir contaminantes. Il devra néanmoins être conservé le plus possible de l'existant*.
- Suppression des anciennes restaurations. Si elles ne sont pas conformes à la restauration envisagée ou si elles ont été mal réalisées. Elles sont souvent trop tendues (ou distendues) ou les couleurs ont viré avec le temps pour les plus anciennes.
- Consolidation en profondeur. Destinée à conserver et à renforcer le plus possible l'existant, elle permettra d'effectuer les restaurations sur des bases saines et solides. Elle consiste en des passes de fil à l'intérieur même de la contexture du textile pour rendre plus solide et homogène certaines parties fragiles ou affaiblies par rapport à l'ensemble.

     Une fois cette Conservation préventive réalisée, on peut passer à l'étape suivante :

LE NETTOYAGE.

     Il consistera en premier lieu en un nettoyage mécanique, c'est à dire essentiellement un dépoussiérage pour éliminer les particules étrangères lourdes telles que les poussières, les excréments d'insectes, la terre.
     Il se pratique à la brosse douce ou au pinceau ou encore avec un aspirateur à débit réglable muni de buses spécifiques. On doit en recouvrir l'embout d'un grillage de plastique fin pour éviter d'aspirer le textile lui même s'il est léger ou fabriquer un écran protecteur en grillage de plastique bordé de coton et l'appliquer sur le textile à aspirer.
     L'aspiration doit se faire sur un support propre (drap ancien ou papier de soie) et toujours à faible puissance.
     Les textiles extrêmement fragiles ou ceux dont les fils sont d'apparence poudreuse ne doivent pas être aspirés. C'est également le cas de ceux qui présentent de nombreux fils brisés et des éléments décoratifs mobiles comme des perles, des paillettes ou des plumes.

     Ce nettoyage mécanique terminé, nous aborderons la seconde partie du nettoyage :

LE LAVAGE.

     Avant de laver un textile il faut toujours procéder à un test de solidité des couleurs.
Il se réalise en déposant quelques gouttes d'eau (distillée, de pluie ou de source) sur une partie cachée du textile que l'on pose sur un buvard ou un tissu de coton blanc et que l'on recouvre d'un autre buvard ou tissu. Si après quelques minutes le tissu n'a pas déposé de couleur, on procède de la même manière avec le détergent choisi. Et ainsi de suite pour chaque couleur.
     Le détergent sera soit un détergent anionique spécifique pour les textiles anciens (se trouve aux Usa  et au Canada), soit un détergent naturel (noix de lavage de Sapindus ou lessive bio à base de Saponaire).
     Si tout se passe bien on peut passer au lavage proprement dit.
 La mise en place du textile à laver se fait sur un cadre de grillage surélevé ou dans le cas présent sur des rouleaux de canisses en plastique permettant l'évacuation de l'eau par dessous.




















On fait ensuite plusieurs trempages en fonction de la saleté de la pièce, une bonne indication est la couleur de l'eau qui s'en écoule.

Puis on peut commencer le lavage à l'aide d'une brosse douce (brosse à habit).

 


















La brosse doit être passée délicatement de manière circulaire.


















 

 En insistant bien sur les parties très sales.



 
Une fois la pièce lavée entièrement on laisse un peu agir le détergent (5 minutes maximum).


















 

Et on peut passer au rinçage. Il en faudra 4 ou 5 avant que le détergent soit entièrement évacué et le textile parfaitement rincé.


















Le dernier rinçage sera fait d'eau de pluie aditionnée de vinaigre blanc pour redonner de l'éclat aux couleurs, de la brillance à la laine et pour son action antiparasitaire préventive.

 



















Le séchage se fera à l'ombre et assez rapidement, on peut pour se faire, s'aider d'un ventilateur ou d'un sèche-cheveu en position air froid, mais jamais au soleil ni avec de l'air chaud.

     Le prochain billet de cette Chronique sera consacré à la Restauration... à bientôt.

* (cf la page Lexique)


mardi 12 mai 2015

Chroniques de Restauration : AUBUSSON # 1

Cette première "Chronique de Restauration" concerne une tapisserie d'Aubusson 
en laine et soie, de type Verdure Pastorale, dans le style du XVIIIème siècle.
 

































     Cette pièce était très abimée et présentait d'importantes dégradations des parties en soie, dues certainement à de mauvaises conditions de conservation. Elle est restée longtemps dans une cave avant d'être de nouveau exposée dans une pièce correctement ventilée, ce qui a été préjudiciable aux fibres de soie qui supportent mal les écarts de température et surtout d'hygrométrie. La soie se pulverisait au toucher, laissant apparaître des chaînes cassées, déchirées et souvent remplacées de manière peu professionnelle.





 Les motifs en laine brun foncé étaient aussi en très mauvais état ce qui est assez fréquent sur ces pièces anciennes. Les colorants employés pour créer les bruns foncés et les noirs contenaient souvent de l'oxyde de fer qui à la longue, rongeait la laine.



      De nombreuses parties du centre, dans les feuillages, derrière les personnages, et sur l'ensemble de la bordure extérieure bleue, ont été retissées mais les couleurs des laines employées ont viré, laissant apparaître des couleurs inadéquates.



     De nombreux petits trous parsemaient la tapisserie et étaient à rentrayer* et à retisser



     Les relais avaient lâché sur l'ensemble de la tapisserie entraînant des déformations importantes et à certains endroits des déchirures.



     La doublure ne faisait plus son office de soutien, les coutures ayant laché.



     De plus cette pièce était très sale et nécessitait un lavage en profondeur avant toute opération.

     Toutes ces observations ont été mentionnées dans un "Constat d'état" comprenant les types et les causes des dégradations ainsi qu'une analyse en profondeur des envers et des parties cachées. Ce constat d'état a donné lieu à la constitution d'un dossier photo le plus détaillé possible.

     Il a ensuite été établi un "Projet d'Intervention" précis comprenant un descriptif des opérations mises en oeuvre :
- Ordre des interventions (urgentes, importantes ou pouvant attendre un peu)
- Exposé des opérations avec jusification en fonction des paramètres majeurs (conservation ou restauration, utilisation future, type et lieu d'exposition)
- Visualisation des détails principaux par des descriptions précises de ce que sera le résultat de la restauration.
- Mention des matériaux employés (anciens ou récents mais cohérents avec l'ensemble)
- Coût de la restauration
     Le constat d'état et le projet d'intervention doivent être le plus précis et le plus détaillé possible. Ils permettront tout au long de la restauration de se référer à ces analyses.

     Dans ce cas précis les opérations principales préconisées ont été les suivantes :

-  Dépose de la doublure
-  Conservation préventive sur les parties abîmées
-  Nettoyage mécanique
-  Lavage à grande eau additionnée de savon naturel doux (noix d'Inde)
-  Rinçage à l'eau vinaigrée
-  Repasse des chaînes manquantes
-  Resconstitution des motifs en soie
-  Reconstitution des contours et motifs bruns
-  Retissage des zones décolorées (feuillage et ciel)
-  Rentrayage* des petits trous
-  Couture des relais sur l'envers
-  Repose de la doublure et coutures de soutien
-  Repose du système de fixation


      C'est l'ensemble de ces opérations de restauration que je détaillerai dans les billets suivants...

*(cf page Lexique)